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Société anti-fourrure alerte sur une pratique méconnue : de la fourrure animale qui se fait passer pour de l'artificielle. Et explique comment la reconnaître.
Par Anne Crignon
Publié le 25 février 2019 à 07h34 :
L’utilisation de la vraie fourrure par l’industrie du luxe et du prêt-à-porter est en déclin pour une raison simple : plus personne n’ignore aujourd’hui dans quelles conditions les petits mammifères dotés d’un pelage somptueux sont mis au monde pour être contenus dans cages toute la durée de leur courte vie, avant d’être dépecés, souvent à vif, et vendus trois fois rien (2 euros pour une dépouille sur les marchés de Chine).
Alors que le consommateur prend conscience qu’on a fait de l’animal une matière première au même titre que le bois ou le cacao, les plus rusés des producteurs s’organisent et continuent d’écouler sur le marché mondial de la vraie fourrure... en la faisant passer pour fausse.
Interview de Stéphanie Rossenu, fondatrice de la Société Anti-Fourrure.
Vous alertez sur un phénomène nouveau : les gens croient porter de la fausse fourrure, car on la leur vend comme telle. Mais en réalité, il s’agit de vraie...
C’est exactement cela. Il y a, par exemple, ces bonnets commercialisés par la Compagnie du foulard avec un pompon en fourrure véritable, alors même que l’étiquette mentionne "100% acrylique". D’autres marques ne mettent pas d’étiquette sur le vêtement pour ne pas détourner le client de l’acte d’achat, car s’agit de chien viverrin ou de renard. Ce phénomène n’est malheureusement pas nouveau et s’observe depuis plus de dix ans. Les animaux ainsi utilisés proviennent de Chine, laquelle produit 90% de la fourrure à l’échelle mondiale, avec le commerce de chiens viverrins et de renards donc, mais aussi de lapins. Ce sont là les trois espèces les plus exploitées et dont l’Union Européenne est le principal importateur.
Qu’est-ce que le chien viverrin ?
Nyctereutes procyonoides ou encore Tanuki est un mammifère appartenant à la famille des canidés. C’est une espèce naturelle, très ancienne, d'origine asiatique localisée en Chine et au Japon. Il y a une ressemblance avec le raton laveur, mais une ressemblance, rien de plus. Cette confusion est entretenue à dessein par les marques, bien conscientes que peu de gens accepteraient de porter du chien. Or le chien viverrin est une espèce de chien à part entière.
Un chien viverrin (Aurélien Trachsel/Flickr)
Nous portons donc sans le savoir des cols de fourrure en chien. Comment est-ce possible ?
Lorsqu’elles s’approvisionnent chez leurs grossistes chinois, les marques peu regardantes ne cherchent pas à savoir s’il s’agit de vraie ou de fausse fourrure. Bien sûr, certaines savent pertinemment ce qu’il en est alors, pour écouler cette marchandise, elles pratiquent l’étiquetage inexistant ou mensonger. Des employés ayant travaillé dans le prêt-à-porter ont dénoncé le fait qu’on leur ait demandé de retirer les étiquettes "Fourrure véritable", afin d’en apposer d’autres totalement fantaisistes. Une conférence à Bruxelles fin 2017 a permis de mettre en lumière ces pratiques.
Et en France, où en sommes-nous ?
On sait que 59% des étiquettes sont trompeuses. En présence de fourrure de chien viverrin ou de renard, l’étiquette ne mentionne rien du tout, ou bien alors "Raton laveur" ou "Raccoon", au lieu de "Raccoon dog" qui désigne le chien viverrin. Les marques ont compris que le public aura moins d’empathie pour un raton laveur [traduction française de raccoon, NDLR] que pour un chien - ce qui est d’ailleurs en train de changer, car tous deux sont des mammifères sensibles et les gens prennent
conscience que la distinction entre animaux de compagnie et animaux d’élevage est infondée. Mais le mensonge va plus loin encore : sur de nombreux vêtements, la fourrure est celle de chiens et de chats domestiques. Ce trafic perdure en raison de sa rentabilité et de contrôles aux douanes peu efficaces.
Le client sait-il cela ?
Bien sûr que non. Lors des campagnes de sensibilisation que nous menons auprès du public qui porte de la fourrure, nous observons que deux personnes sur trois pensent avoir acheté de la fausse en raison de l’absence de mention "Fourrure animale", et aussi en raison du bas prix du vêtement. En réalité, plus un article est bon marché, plus la mention "Vraie fourrure" disparaît.
Vous observez tout de même que l’utilisation de la vraie fourrure par le prêt-à-porter et les marques de luxe va déclinant...
En effet. De plus en plus de marques et de couturiers tournent le dos à ce commerce en raison de sa cruauté sans nom. Cette industrie exige tout de même le massacre annuel de 150 millions de vies et, le plus souvent, les animaux sont dépecés alors qu’ils sont partiellement ou pleinement conscients. Mais par delà sa dimension éthique, ce déclin s’explique par les impacts écologiques de ce commerce. La Banque Mondiale classe l’industrie de la fourrure comme l’une des cinq plus polluantes au monde.
Vous dites que les fermes d'élevage à fourrure qui détiennent des milliers d'animaux, sont un "abîme de dépense et d'énergie".
Oui. Cette industrie représente un réel danger pour l'environnement, avec les menaces de pollution des eaux potables. La mauvaise gestion des déchets peut entraîner une contamination de l'eau, des nappes phréatiques du fait des déjections animales, sans parler des produits phytosanitaires utilisés pour contrer les parasites qui pullulent dans ce genre d'exploitation. Sans parler non plus de l'empreinte carbone, liée au transport des aliments, des cadavres, du lisier. C’est une aberration. Si l’on prend en compte le risque des grandes périodes de sécheresse à venir, la paille et l'eau sont des denrées et ressources à préserver pour les besoins vitaux. C’est pourquoi de plus en plus de pays interdisent leurs élevages d’animaux pour la fourrure. La Serbie, récemment, a rejoint les seize autres pays ayant interdit ces exploitations (Angleterre, Suisse, Luxembourg, Suède...). En Belgique l’interdiction prendra effet en 2022 et en Allemagne en 2024. Au Japon, il n’y a plus du tout de fermes d’élevage.
Cet hiver, en France, on a vu un nombre impressionnant de capuches avec un col de fourrure.
C’est d’autant alarmant que cela représente un réel danger pour la santé humaine. Le seuil des produits chimiques utilisés pour le traitement de ces garnitures dépasse en Chine de 250 fois les limites légales. Les plus exposés sont les enfants : la capuche se trouvant proche de la bouche, cela peut causer des troubles hormonaux jusqu’à vingt ans plus tard. Des chercheurs allemands, suisses, et croates ont mis à jour des risques de cancers et de leucémies.
Vous menez campagne depuis 2010. Quelles sont les marques qui vous ont suivi ?
Depuis la création de la campagne "France Sans Fourrure" en 2010, nous avons convaincu une vingtaine de marques d’en finir avec la fourrure animale : Etam, Morgan, Kookai, Aigle, Jacadi, Damart, Ikks, Le Phare de la baleine, Deux two, 123, Kaporal, Tara Jarmon, Karl Marc John, Camaïeu, Burberry, les enseignes Super U, Carrefour et Leclerc. Cyrillus suivra en 2020.
Comment vous y prenez-vous ?
Il y a dix ans, nous avons commencé par aller manifester à trois reprises devant le siège de la marque Morgan, à Levallois-Perret, qui nous a rapidement fait part de sa décision d’arrêter. Pour Kookaï, cela a été plus difficile. Nous avons maintenu nos manifestations mensuelles pendant trois hivers consécutifs. Pour les autres, notre collectif les a contactés régulièrement, parfois pendant de nombreuses années. Le public nous aide. Nous avons demandé aux clients, nombreux à nous solliciter spontanément, de contacter eux aussi ces marques, pour les convaincre d’arrêter la vraie fourrure. Seule la marque Zapa, que nous sollicitons depuis quatre ans, avec de nombreuses actions de terrain devant leurs boutiques, n’a toujours pas pris de décision ferme malgré son engagement.
Dans un rayon, comment lire l’étiquette ?
Si l’étiquette indique "Fourrure synthétique", cela est fiable. Mais il arrive aussi que des garnitures en fourrure synthétique ne soient accompagnées d’aucune indication, alors le mieux est de savoir distinguer la vraie fourrure de la fausse. Ce qui est assez facile : un faux poil, même très bien imité, aura toujours la même épaisseur de sa base à son extrémité alors qu’un vrai poil est forcément plus fin au bout.
Que sait-on des conditions d’élevage ?
Que c’est effroyable. En Chine, il n’y a aucune de loi de protection animale. La condition de vie et de mort de ces petits mammifères torturés sont pires qu’ailleurs. Les vidéos le prouvent : petites cages sales, blessures jamais soignées dues à l’automutilation, animaux à peine abreuvés, nourris avec les restes de leurs congénères déjà massacrés, et dépecés, comme je vous ai déjà dit, conscients la plupart du temps. Leur détresse est immense.
Ne nous leurrons pas : où qu’ils se trouvent dans le monde, ces élevages sont un concentré de souffrances inimaginables. Des vidéos en provenance de Finlande, par exemple, montrent les mêmes manquements ou presque aux besoins les plus élémentaires des animaux, comme l’atteste le rapport de Fur Free Alliance.
Quid des élevages français ?
Il existe environ vingt élevages en France, de visons et de lapins, destinés aux grands couturiers ou à l’exportation. On trouve les élevages de visons dans le Doubs, dont un à Emagny. L’association Combactive, dont nous sommes partenaire, a réalisé un formidable travail contre cet élevage. Elle est parvenue à faire annuler une extension de 5.000 à 18.200 visons. Il y a, en France, une carence de réglementations vis-à-vis de l’animal d’élevage à fourrure, alors nous utilisons la législation sur l’environnement. Si Combactive a gagné face à Emagny, c’est grâce à ces réglementations environnementales justement, puisque l’éleveur ne les respectait pas. Les éleveurs français s’abritent derrière une charte du bien-être animal avec un bucolisme qui prête à sourire, au vu de la réalité : on ne peut décemment pas élever des animaux par milliers dans de bonnes conditions. Avec Combative, nous avons donc lancé une pétition.
Propos recueillis par Anne Crignon.